Depuis 2032 et la généralisation du programme Faircitizen*, la Régie des jeux propose une nouvelle série de tickets grattables, vous permettant de récupérer les points d’esprit civique que vous auriez perdus lors d’une infraction passée.
Superfree c’est simple et ludique, vous grattez et vous gagnez !
Quoi de plus fun ?
Pour tout ticket gagnant, rendez vous l’appli Superfree, renseignez vos identifiants Faircitizen puis saisissez le numéro à 12 chiffres figurant sur votre ticket et le tour est joué!
Votre crédit social est à nouveau à jour !
*Faircitizen est votre programme d’encouragement à l’esprit civique. Chacun d’entre vous disposant d’un capital de points, vous risquez de le réduire en cas d’infraction à la stabilité sociale. La réduction de votre capital peut vous conduire à subir des restrictions de circulation et d’accès à certains espaces publics (universités, cinémas, musées, parcs d’attractions, lieux de culte, centres commerciaux etc…). La perte totale de votre capital et la récidive vous rendent passibles de peines d’emprisonnement.
Comme chaque année, tout avait commencé, ou plutôt continué. Le message était arrivé, de vœux de nouvelle année, ou de ce qui se montrait comme tels, comme dispensateur d’un hasard de jeux, de joies, de plaisirs, de civilités librement consenties, sous peine de sanctions destinées à regagner des points perdus. Un modèle qu’appliquait avec délectation la conduite automobile.
Super Free ! Je me méfiais de ce que ce jargon « Brexit » pouvait apporter à notre humble existence. Qu’était devenu la langue de François Villon ? « que sont mes amis devenus, le vent je crois les a … » Et puis, qu’était ce démarchage à domicile sous l’égide incertaine de la Régie ?
Devais-je ouvrir ce paquetage alléchant célébrant ma super-liberté et la traduisant en une vulgate qui aurait mis fin à l’immortelle « Académie Française ? « Fun ! Fun ! FUN ! » fun de quoi ? fun de soi ? fun de rien !
Mais l’approche publicitaire était là. Cinq Euros, ce n’est pas tout à fait rien pour le SDF que je n’étais pas.
Tout avait l’apparence d’un document respectable, la régie des jeux en appel, la mise en garde discrète en bas de page, pourtant un mystérieux « faircitizen » qui pouvait inspirer la méfiance.
Devait-on gratter au risque de s’engager dans quelque cheminement tortueux? Au diable Vauvert ! J’ai gratté tel un diable chenu le premier exemplaire que pourtant je soupçonnais d’être un fake, comme l’exprime le langage honni de la perfide Albion.
J’appris ainsi que j’avais, du fait d’une incivilité qu’il ne m’appartient pas de contester, des points qu’un mystère me permettait de regagner en partie. Là, il y a anguille sous roche me disais-je en continuant toutefois à gratter comme un malade ou un simple d’esprit, perdant et récupérant des points pour des actions que seuls la vidéo surveillance ou des moyens électroniques sophistiqués auraient pu déceler.
Je passe l’énoncé, les pertes et les récompenses de faits dont je nie en grande partie l’existence, comme flaque d’eau, dissimulation du visage, comportement inapproprié, non-respect du code de circulation, et tout ça pour gagner un bob de beauf ou de bobo !
Non, tout ceci sentait l’arnaque et j’entrepris de comptabiliser mes points positifs et mes points négatifs afin d’alerter la haute autorité sur une entreprise qui cultivait l’addiction aux jeux. Et le résultat fut : gagnés 16, perdus 36, cadeau un bob ! Et pour avoir ce bob, renseigner ses identifiants et ses numéros de grattage !
Là c’en était trop, l’arnaque était trop visible, la plainte en justice inévitable !…
Lorsque je découvris, en tout petit de bas de page, côté verso, cette mention intouchable : Fleur de Cactus, Roland Cros.
Alors Roland, merci pour ton arnaque, bonne année au-delà des mêlées, bises à toute ta petite famille.
L’irrévérencieux PIOTR.