Un Mercredi à midi

publié le 07 janvier 2015

NOUS SOMMES TOUS CHARLIE

Il l’avait attendu, l’œil rivé au mail, s’égarant sous la porte palière où la concierge, rescapée de temps anciens, glissait chaque jour le courrier. Il avait guetté la sonorité étouffée de la sonnette d’entrée au cas ou arriverait un paquet égaré. Il avait affûté sa plume et son esprit, mais affûté sur quoi ? Le contenu de ce qu’il attendait, il ne le connaissait pas et d’ailleurs, devait-il attendre quelque chose ? L’objet incertain ne manquerait-il pas, faute d’une absence d’imagination de son créateur ? Mais cela ne se pouvait pas. Alors, il laissait son esprit vagabonder, confiant dans cette attente de début d’année.

C’était un mercredi, le premier mercredi du mois de la nouvelle année. A midi, la sirène, comme d’habitude avait retenti, hululement sinistre dans le brouillard gris d’une journée de janvier, modulée, cinq à six fois, peut-être un peu plus et le ton emphatique était redescendu et s’était effondré. Déjà l’on attendait la fin de l’alerte dans le glapissement d’avertisseurs de pompiers, d’ambulanciers ou de policiers… On ne savait pas trop, mais quelque chose disait qu’ils étaient plus nombreux qu’une journée d’habitude. D’ailleurs, par habitude elles aussi, les cloches de l’église voisine s’étaient mises à carillonner comme chaque jour l’Ave Maria de midi. La cloche ne se départit pas de son ton monotone… tonne, tonne, tonne. Elle ralentit son rythme au bout de quelques minutes et se tait lentement, comme à regret. Des enfants crient et se chipotent un peu plus bas dans l’escalier, des pas tapotent le parquet de l’appartement du dessous. Un piano maladroit égrène ses notes hésitantes, une gamme montante, une gamme descendante…fa-mi, ré-do. Des voix assourdies, des échanges inaudibles, de nouveau l’alarme des pompiers, des grondements obscurs montés de la rue encombrée. On se prend à attendre la fin de l’alerte, à penser à ceux qui auraient été là en d’autres temps, réfugiés dans le tunnel profond du métro, serrés là, les uns contre les autres, bébés criards, enfants agités, vieillards résignés, adultes compassés

Là-haut, à l’air libre, le brouillard s’affirme. On voit à peine, du balcon humide, l’autre côté de la rue. Le temps s’éternise, palpe les esprits, retourne des pensées insoumises. Il est douze heures dix. Le mugissement de la sirène enfin qui s’enfle, grince quelque peu, irradie les oreilles et retombe en un gémissement désuet. C’en est fini de cette alerte qui n’en était pas une. La sirène attendra le premier mercredi du prochain mois.

Et puis voilà, c’est à ce moment arrivé. L’enveloppe glissée sous la jointure de la porte, saisie et précipitamment ouverte. Un « FLIP » encré de chine sombre, un rien provocateur, un rien interrogateur. Et puis, une carte à gratter, trois êtres serrés, les doigts crispés, le visage incertain, jaillis d’un horizon lointain torturé d’arbres calcinés. Selon qu’on la regarde, la femme, usée par la vie exprime sa surprise et sa détermination face à un danger que l’on ne connaît pas. Elle enserre ses enfants. L’un, craintif ouvre des yeux stupéfiés, les ferme avec un rictus méprisant. L’autre, après avoir pris la mesure de la menace, ouvre la bouche en un aboiement dérisoire et menaçant. Qu’ont-ils découvert ? De quoi cherchent-ils à s’échapper ?

Le mouvement fascinant de la carte à gratter donne libre cours d’abord à une terreur impuissante puis à une détermination vitale.

Dans le jeu lumineux de la carte à gratter, la radio ronronnante laisse échapper le jingle des informations. Il est midi et demi sur France Culture, ce devrait être un jour ordinaire. C’est Charlie lapidé, Charlie assassiné, Charlie décapité, et ces cons que Charlie avait si bien dénoncés. Sur la carte grattée, une femme exprime sa force et sa haine, un enfant rugit de colère, l’autre est tétanisé de stupeur.

Tous semblent nous dire à ce moment là  « Nous sommes tous Charlie »

Piotr

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